Remaniement de la surveillance : Livre blanc de l’Ombudsman

Lettre

Le 30 mars 2005
 

Le Très Honorable Paul Martin, C.P., député
Premier ministre du Canada 
Bureau du Premier ministre 
Bureau 309-S, Édifice du Centre 
Ottawa (Ontario)
K1A 0A2
 

L’Honorable Bill Graham, C.P., député
Ministre de la Défense nationale 
QGDN 
13e étage, Tour Nord 
101, promenade Colonel By 
Ottawa (Ontario)
K1A 0K2
 

L’Honorable Albina Guarnieri, C.P., députée
Ministre des Anciens combattants 
460, édifice de la Confédération 
Chambre des communes 
Ottawa (Ontario)
K1A 0A6
 

Madame, Messieurs,
 

Je suis heureux de vous remettre un exemplaire de mon « Livre blanc », dans lequel j’expose ma vision d’une surveillance militaire efficace.
 

J’ai été honoré d’être le premier Ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes (MDN/FC) du Canada, et c’est avec plaisir que j’ai rempli mon mandat. Pendant sept ans, j’ai eu la possibilité d'acquérir une foule de connaissances et de bien comprendre les rouages du Ministère et de l’armée canadienne. J’ai été dans une position idéale pour observer de l’extérieur, tout en étant initié, les lacunes et les faiblesses aussi bien que les réussites et les forces du MDN et des FC.
 

Avant de terminer mon mandat à titre de premier Ombudsman de l’armée du Canada, j’estime qu’il est de mon devoir de partager avec vous mon expérience et mes opinions en ce qui a trait à l'avenir de la surveillance du monde de la défense.
 

Au cours de mon mandat, j’ai eu le privilège de travailler avec des dirigeants du MDN et des FC dans le but d’améliorer considérablement le bien-être des membres de l’armée canadienne et de leur famille. J’ai constaté de visu leurs réalisations exemplaires au Canada et à l’étranger. J’ai été témoin de leurs sacrifices et de leurs combats. J’ai également observé les défis bien particuliers qu’ils doivent relever chaque jour. C’est dans cette perspective que je vous recommande d’établir des mécanismes justes, efficaces et efficients pour régler leurs plaintes et veiller à ce qu’ils soient traités avec respect.
 

Au moment où je quitte le Bureau de l’Ombudsman, j’espère sincèrement que ce « Livre blanc » servira à préparer le terrain en vue d’une surveillance militaire efficace au Canada. Les membres des FC, qui servent leur pays de leur mieux, ne méritent rien de moins.
 

Veuillez agréer, madame et messieurs, l’expression de mes sentiments distingués.
 

L’Ombudsman,
André Marin
 

Table des matières
 

Sommaire

L’histoire canadienne montre qu’une surveillance civile de l’armée est nécessaire. C’est ce qui est ressorti crûment de l'affaire somalienne, à un moment où l’attention accrue portée à l’armée canadienne a révélé une institution souffrant de problèmes de leadership et de moral, d’un processus de grief boiteux, d’une augmentation du nombre de déclarations d’incidents de harcèlement sexuel, et d’une culture qui ne s’intéresse pas suffisamment à la qualité de vie de ses soldats. De plus, l’histoire récente du pays nous a montré que la façon la plus efficiente et la plus efficace d’assurer cette surveillance tout en respectant l’autorité militaire suprême est d’établir un bureau de l’ombudsman. Par ailleurs, on a bien compris qu’il faut rationaliser de toute urgence les organismes de règlement des conflits des Forces canadiennes. Si l’on s’appuie sur n’importe quelle mesure du rendement, la façon de le faire est évidente :
 

  • (1) Il n’est pas nécessaire d’établir un régime de règlement des conflits distinct pour les plaintes formulées à la police militaire. Ces affaires peuvent être traitées de façon plus efficace et à beaucoup moins de frais par un bureau de l’ombudsman.
     
  • (2) Par souci d’efficience et d’équité, les dossiers relatifs aux Anciens combattants devraient être transmis au même bureau de l’ombudsman, qui s’occupe des plaintes des anciens combattants relatives à des questions impliquant le ministère de la Défense nationale (MDN) et les Forces canadiennes.
     
  • (3) On devrait mettre de côté toute résistance et autoriser un bureau de l’ombudsman à compléter et à améliorer le processus de grief. Lorsqu’on peut régler un différend sans arbitrage des griefs, en recourant à un ombudsman, on devrait encourager cette façon de faire.
  •  

Si efficace qu’un ombudsman ait été au moment de résoudre les plaintes et de régler les enjeux systémiques au sein des Forces canadiennes, un bureau de l’ombudsman ne réalisera pas son plein potentiel et n’apportera pas sa contribution maximale tant qu’il y aura des cellules de résistance dans l'armée. Les attitudes doivent changer dans l’intérêt de l’institution. Pour ce faire, le gouvernement du Canada doit montrer la voie en s’engageant envers le Bureau à l'inscrire dans une loi afin qu’il soit permanent, qu’il dispose des outils dont il a besoin et que sa légitimité soit indiscutable.
 

Au moment où je quitte le Bureau de l’Ombudsman, une nouvelle page d’histoire est en train de s’écrire. Le temps est maintenant venu de nous assurer que nous allons de l’avant, et que nous ne revenons pas en arrière.
 

Table des matières
 

Introduction

Il ne me reste que quelques jours à occuper le poste d’Ombudsman du MDN et des FC. J’ai appris beaucoup de choses pendant mon mandat. Ce serait impardonnable de ma part de ne pas partager ces leçons avec vous avant mon départ. Elles sont importantes pour le mieux-être des membres du MDN et des FC, et, par conséquent, pour celui de tous les Canadiens.
 

La première chose que j’ai apprise en ma qualité d’Ombudsman du MDN et des FC peut sembler élémentaire, mais c’est tout sauf cela. J’ai appris à quel point la surveillance civile de l'armée est importante. Bien sûr, je savais que ça l’était avant de prendre les rênes du Bureau. Avec le recul et l’expérience, j’en suis encore plus intensément convaincu aujourd'hui. En sept ans, les employés du Bureau de l’Ombudsman ont rencontré des membres du MDN et des FC qui ont tour à tour été frustrés, blasés, fâchés et même désespérément malheureux à la suite de leur expérience dans l’armée. Nous avons parlé à des membres de la famille de plaignants tourmentés par l’incidence d’erreurs de jugement. Nous avons vu à quel point des problèmes peuvent miner le moral, l’engagement, et, éventuellement, une carrière. Et nous avons constaté de visu, presque chaque jour, dans le cadre de nos travaux, comment un minimum de distance, une perspective extérieure et une relation de confiance peuvent permettre de désamorcer des situations, de régler des problèmes et d’atténuer l’acrimonie. La surveillance civile, si elle est bien effectuée, permet assez simplement d’améliorer non seulement la vie des membres des Forces canadiennes, mais également de l’institution proprement dite.
 

Nous avons également vu que nous pouvions, grâce à la surveillance civile et à des pratiques d'enquête proactives, trouver et proposer des solutions efficaces à des problèmes généralisés et bien ancrés. Nous avons proposé des stratégies et des solutions proactives pour s’attaquer à des problèmes systémiques. Personne ne devrait donc s’étonner de voir que je quitte ce poste en me posant en ardent défenseur du renforcement et de l’amélioration du Bureau de l’Ombudsman.
 

Je sais bien que mon point de vue est celui du conducteur et que, par conséquent, mes observations pourraient sembler prétentieuses, et peut-être un peu crues. Je sais aussi que bien d’autres membres de l’armée sont aussi déterminés que moi à améliorer les choses. Cependant, les réalisations du Bureau, exposées dans des rapports annuels et publics et dans d’innombrables articles médiatiques, sont éloquentes. Personne ne saurait nier en toute crédibilité l’impact du Bureau. Au cours des sept dernières années, nous avons traité plus de 9 000 plaintes, publié 18 rapports spéciaux à l’intention du ministre de la Défense nationale, et mené des dizaines d’enquêtes d’envergure, chacune ayant entraîné d’importantes améliorations pour les Forces canadiennes. Nous l’avons fait dans le respect des échéances et du budget, et en évitant les coûts et l’acrimonie que supposent les poursuites judiciaires. Nous avons laissé dans notre sillage plein de gens satisfaits, à l’exception peut-être de quelques-uns qui préfèrent se cacher la tête dans le sable plutôt que d’apprendre de leurs erreurs et d’aller de l'avant. La courte histoire du Bureau montre que la surveillance civile de l'armée fonctionne. Je ne m’en targue pas. Un bureau de l’ombudsman peut faire bien mieux. Comme je vais l’expliquer dans ce « Livre blanc », il pourrait faire mieux si on lui donnait les outils dont il a besoin et un mandat qui lui permettrait de régler une foule de problèmes.
 

C’est parce que je comprends mieux maintenant l’importance des activités du Bureau de l'Ombudsman et que je suis résolu à voir un bureau de l'ombudsman qui dispose des outils nécessaires pour maximiser son potentiel que je présente le « Livre blanc ». J’ai décidé que je dois le faire même s’il ne constituera pas un portrait flatteur de l’approche qu’ont adoptée jusqu’ici le MDN et les FC à l’égard de la résolution des problèmes, des autres institutions de règlement des conflits qui ont été créées au sein du MDN et des FC, ou de la culture qui prédomine toujours dans certaines cellules du MDN. Je présente le « Livre blanc » parce que le mieux-être des membres du MDN et des FC me tient à cœur. Je l’ai déjà dit, et je sais parfaitement que cela peut sembler cliché et mélodramatique, mais c’est une vérité qu’on ne saurait trop répéter : les Canadiens doivent beaucoup à notre personnel militaire et doivent simplement mieux le traiter.
 

Les hommes et les femmes qui servent notre pays travaillent pour un salaire modeste, et sacrifient le contrôle qu’ils ont sur leur propre vie, même lorsque cela exige des compromis difficiles, non seulement de leur part, mais aussi de leur famille. Ces hommes et ces femmes ne servent pas le pays de la même façon, quoique louable, que les autres fonctionnaires – ils sont prêts à mettre leur vie en jeu pour le Canada. L’histoire montre que bon nombre d'entre eux sont tombés, quelques-uns de façon tragique pendant la période où j’ai dirigé le Bureau. Il est donc facile de se préoccuper du mieux-être de personnes qui en font tant. Il devrait donc être facile de comprendre que je ne peux pas quitter ce poste la conscience tranquille, à moins que j’aie fait tout mon possible pour contribuer à faire de l’expérience militaire une expérience la plus positive et la plus enrichissante possible. Dans les jours qui viennent, je ne pourrai plus donner de conseils. Après mon départ, tout ce que je pourrai offrir, ce sont ma candeur et ma vision de l'avenir – une vision qui n’est pas le fruit de cogitations abstraites. Elle a été taillée, un coup à la fois, dans le bois de l’expérience. En espérant qu’elles aideront les personnes investies du pouvoir à prendre les bonnes décisions, je vous fais part des leçons que j’ai apprises. Je suis certain que les gens ouverts d’esprit et bien intentionnés bénéficieront de ce que j’ai à dire.
 

Ces leçons m’ont amené à tirer les conclusions suivantes :
 

  • (1) Les mécanismes de plainte prévus dans la Loi sur la défense nationale, la Commission d’examen des plaintes concernant la police militaire du Canada (CEPPMC) et le processus de grief sont défaillants. Ils sont défaillants parce qu’ils ne peuvent être assez indépendants et parce qu’ils se fondent sur des modèles axés sur la confrontation et sont administrés par des bureaucraties démesurées. Ils coûtent cher et ne sont pas efficaces.
     
  • (2) Des cellules de résistance à la surveillance civile se sont formées dans une culture militaire parfois axée sur l’auto-protection et opposée à une surveillance efficace. Lorsqu’on publie un rapport crucial, les dirigeants des FC disent souvent qu’on les a fait mal paraître plutôt que de réagir de façon à vouloir régler le problème sous-jacent cerné dans nos conclusions.
     
  • (3) Pour progresser, il faut :
     
    • (i) rationaliser le réseau de mécanismes de règlement des conflits du MDN et des FC, qui prête à confusion. Pour ce faire, on peut élargir le rôle de l’Ombudsman, en lui permettant de régler des affaires qui relèvent de la police militaire et des Anciens combattants, et accueillir la contribution de l’Ombudsman au processus de griefs militaires;
       
    • (ii) enchâsser un Bureau de l’Ombudsman de l'armée dan_ne attitude défensive répandue dans une société foncièrement fermée.
       

Table des matières
 

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