L'Ombudsman insiste pour que les problèmes liés aux langues officielles soient réglés rapidement

Le 30 janvier 2008

Général R.J. Hillier, CMM, CSM, CD
Chef d’état-major de la Défense
Quartier général de la Défense nationale
Édifice Mgén George R. Pearkes
13e étage, tour sud
101, promenade Colonel By
Ottawa (Ontario) K1A 0K2

 

Objet : Problèmes liés aux langues officielles à la BFC Gagetown, à la Garnison Saint-Jean et à la BFC Borden

Général,

Lors d’une visite de sensibilisation à la Base des Forces canadiennes (BFC) Borden en novembre 2006, l’ancien ombudsman, Yves Côté, a reçu de nombreuses plaintes d’étudiants francophones qui disaient éprouver d’importantes difficultés à travailler, à recevoir de l’instruction et à accéder à des services essentiels (comme les soins médicaux) en français. Ces problèmes ont été portés à votre attention pour la première fois le 8 janvier 2007, et l’ancien ombudsman vous avait alors demandé la mise en place de mesures immédiates. Par la suite, le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes (le MDN et les FC) ont informé le Bureau de l’Ombudsman que des mesures avaient été prises pour régler ces problèmes. En juin 2007, les enquêteurs du Bureau de l’Ombudsman sont retournés à la BFC Borden pour déterminer si les mesures prises par le MDN et les FC avaient effectivement permis d’atténuer les problèmes. Les enquêteurs de l’Ombudsman ont alors constaté qu’en fait, aucune mesure concrète n’avait été prise et que la situation était bien pire et de plus grande ampleur que l’on ne l’avait cru précédemment.

Le 25 juillet 2007, M. Côté a sollicité l’intervention de l’ancien ministre de la Défense nationale, l’honorable Gordon O’Connor. À la suite de l’intervention du ministre O’Connor, le Chef du personnel militaire (CPM) a examiné la situation et a récemment informé notre Bureau que des mesures avaient été prises et que des changements sont en cours pour régler les problèmes auxquels font face les recrues francophones à la BFC Borden. Afin de nous assurer que les problèmes ont été traités, notre Bureau déléguera des enquêteurs à la BFC Borden au cours du prochain mois.

En novembre 2007, l’ancien ombudsman a affiché la correspondance traitant des problèmes soulevés par les étudiants francophones à la BFC Borden sur le site Web du Bureau. À la suite de cette initiative, des militaires de la BFC Gagetown et de la Garnison Saint-Jean ont communiqué avec le Bureau de l’Ombudsman pour lui faire part de problèmes similaires ceux rencontrés à la BFC Borden relativement au manque de services dans les deux langues officielles. Compte tenu de la gravité des préoccupations soulevées, des enquêteurs de l’Ombudsman ont été délégués à la BFC Gagetown et à la Garnison Saint-Jean afin de procéder à une évaluation visant à déterminer s’il s’agissait d’un problème plus répandu.

Garnison Saint-Jean et BFC Gagetown

On a demandé aux enquêteurs de l’Ombudsman de recueillir des renseignements sur l’expérience des étudiants anglophones à la Garnison Saint-Jean et des étudiants francophones à la BFC Gagetown concernant l’utilisation de leur langue officielle maternelle dans les contextes du travail, de l’instruction et du recours aux services.

Les enquêteurs de l’Ombudsman ont rencontré les étudiants, les membres des familles et les fournisseurs de services (y compris le personnel médical, les travailleurs sociaux et les aumôniers). Les renseignements ont été recueillis au moyen de sondages confidentiels et dans le cadre de discussions ouvertes. Plus de 500 sondages confidentiels ont été menés auprès des étudiants de l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes (ELRFC) de la Garnison Saint-Jean et des étudiants de cinq écoles de l’Armée de la BFC Gagetown. Le sondage était une version plus détaillée de celle utilisée à la BFC Borden. On y demandait aux répondants de faire part des connaissances qu’ils avaient de leurs droits linguistiques et d’évaluer le niveau d’aide qui leur était offert. Les enquêteurs de l’Ombudsman ont clairement indiqué qu’ils cherchaient à obtenir tous les points de vue et que les détails au sujet d’histoires à succès et d’insuccès seraient les bienvenus. On demandait aux sondés de répondre par oui ou non, tout en leur donnant la possibilité d’expliquer leurs réponses au besoin. Quelques personnes ont remis un sondage vierge. Les sondages ont été menés en prenant soin de garantir l’anonymat et de favoriser la franchise, tout en assurant une représentation adéquate de la collectivité d’étudiants.

En se servant des résultats des sondages, les enquêteurs ont évalué si les répondants estimaient être traités équitablement en ce qui concerne l’accès à de l’instruction et à des services dans la langue officielle de leur choix.

Chaque sondage a été suivi d’une discussion ouverte. De plus, deux autres discussions ouvertes ont été organisées à chaque site afin d’offrir une tribune aux membres des familles qui voulaient faire entendre leurs préoccupations concernant les langues officielles.

Problèmes communs à la BFC Gagetown et à la Garnison Saint-Jean

Les enquêteurs ont relevé six problèmes similaires à ceux rencontrés à la BFC Borden.

  • Connaissance des droits : 50 p. 100 (85 sur 170) des personnes sondées à la BFC Gagetown et 28 p. 100 (104 sur 379) à la Garnison Saint Jean ont dit ne pas connaître leurs droits linguistiques. De plus, 52 p. 100 (89 sur 170) et 38 p. 100 (143 sur 379) respectivement ont dit ne pas savoir comment obtenir de l’aide pour assurer le respect de leurs droits linguistiques.
  • Services de santé : Les répondants ont dit éprouver des problèmes à obtenir des services de soins de santé dans leur langue officielle maternelle. Certaines personnes ont dit avoir éprouvé des difficultés à communiquer leurs symptômes et à comprendre les diagnostics et les options de traitement, et ce, même lorsqu’ils avaient affaire à des membres du personnel médical désignés bilingues. D’autres personnes ont soulevé des préoccupations au sujet de la vie privée lorsque des problèmes de communication obligent l’intervention d’un tiers pour agir comme interprète.
  • Accès à de la formation linguistique : Le personnel en attente d’instruction a indiqué qu’il y avait peu de possibilités d’obtenir de la formation en langue seconde, laquelle aurait pu être profitable durant cette période transitoire.
  • Cadre d’instructeurs : Les instructeurs bilingues se sont plaints du fait qu’ils doivent injustement travailler pendant un plus grand nombre d’heures que leurs collègues unilingues. Ils doivent enseigner à des classes anglophones et francophones. Ils ont indiqué avoir aussi le fardeau de réviser et de traduire le matériel de cours.
  • Traduction : Les Directives et ordonnances administratives de la Défense (DOAD) expliquent clairement l’exigence de rendre la documentation disponible simultanément dans les deux langues officielles lorsqu’elle est requise pour de la formation et lorsqu’elle traite des questions de santé ou de sécurité du personnel. Toutefois, les étudiants ont dit que les documents traduits ne sont pas toujours disponibles et qu’un grand nombre des versions traduites sont de piètre qualité. Les instructeurs et les administrateurs ont dit éprouver des problèmes à obtenir des services de traduction et ont soulevé des préoccupations à propos de la qualité des traductions.
  • Respect mutuel : Les enquêteurs se sont fait dire (à Saint-Jean) : « Nous devons trouver un moyen de combler le fossé entre les recrues francophones et anglophones. L’amertume qui existe entre les deux groupes est un fait connu. » De nombreux commentaires des membres des groupes linguistiques minoritaires aux deux endroits témoignaient de ce sentiment d’exclusion ou d’isolement.

Problèmes particuliers à la BFC Gagetown

En plus des problèmes communs soulevés aux deux bases, les enquêteurs de l’Ombudsman en ont relevé six autres qui sont particuliers à la BFC Gagetown.

  • Certains étudiants se sont dits incapables de comprendre les ordres en anglais, ce qui crée des risques potentiels sérieux concernant la sécurité sur les champs de tir.
  • Le coordonnateur des langues officielles de la base (CLOB) manque de visibilité et de ressources pour accomplir des tâches importantes. Ces tâches consistent entre autres à veiller à l’observation de la Loi sur les langues officielles dans les unités et sur la base, à promouvoir l’importance des droits linguistiques, à s’acquitter de ses responsabilités et obligations ainsi qu’à effectuer des visites dans les diverses écoles et unités pour relever et régler les problèmes liés aux langues officielles.
  • Les militaires francophones ont exprimé des préoccupations à l’égard des retards concernant l’accès à leur cours de métier dans leur langue officielle maternelle. Le temps d’attente pour suivre leur cours est beaucoup plus long que celui des étudiants anglophones. Ils se sont également plaints du fait que certains de leurs cours de carrière sont offerts exclusivement en anglais. Le temps d’attente des étudiants cause des retards dans la progression de leur carrière.
  • Les enquêteurs se sont fait dire qu’il y a un manque d’instructeurs bilingues, particulièrement à l’École de l'Arme blindée, aux écoles d’infanterie et sur les cours d’officier de génie de combat et de distribution électrique. Les préoccupations soulevées sur les trois bases à l’égard de la charge de travail sont particulièrement graves dans ces trois écoles.
  • La capacité d’accueillir et d’orienter les nouveaux étudiants en français est limitée. Même si les étudiants peuvent se procurer des instructions de ralliement bilingues sur Internet avant leur arrivée à la BFC Gagetown, ils ne sont pas toujours au courant de l’existence de telles instructions. De plus, leur premier point de contact à leur arrivée à la base est habituellement la section du Logement, qui ne compte que 4 commissionnaires bilingues fonctionnels sur les 38 qui y travaillent.
  • On ordonne aux étudiants de soumettre leur documentation en anglais, langue que certains d’entre eux disent à peine comprendre, sans quoi ils risquent de faire face à une période d’attente prolongée avant d’obtenir des réponses.

Au chapitre des réussites, certains étudiants ont indiqué que les magasins d’habillement de l’Approvisionnement et les Services de soutien au personnel militaire sont en mesure d’offrir leurs services à la clientèle dans les deux langues officielles. Ces sections ont abordé le défi de doter les postes bilingues avec une attitude positive et « volontaire ».

Problèmes particuliers à la Garnison Saint-Jean

Les enquêteurs de l’Ombudsman ont relevé quatre autres problèmes particuliers à la Garnison Saint-Jean.

  • Problèmes liés à la sécurité individuelle 
    • Les anglophones ayant des allergies alimentaires sont incapables d’en faire part au personnel unilingue francophone des cuisines et du mess.
    • Les exercices d’incendie se déroulent exclusivement en français.
  • Les étudiants anglophones ont soulevé des préoccupations à propos du fait que les renseignements versés à leurs dossiers médicaux sont en français, et ils se soucient des conséquences que cela pourrait avoir au moment où un unilingue anglophone aurait plus tard à consulter lesdits dossiers.
  • Le coordonnateur des langues officielles semble manquer de ressources, et son poste ne semble pas avoir la stabilité nécessaire pour promouvoir la connaissance des questions relatives aux langues officielles.
  • Les courriels, les réunions et les directives unilingues sont souvent la source de malentendus, d’isolement et de frustration latente chez les étudiants et les membres du personnel. L’Unité de soutien de secteur, qui est désignée unité de langue française (ULF), émet automatiquement sa correspondance exclusivement en français aux unités de secteur bilingues et à leurs membres.

Un certain nombre d’initiatives ont été observées, notamment le groupe de travail mis sur pied conjointement par la base, le Centre de ressources pour les familles des militaires (CRFM) et la Ville. Les projets visant à poser des enseignes bilingues et à embaucher deux autres traducteurs à l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes (ELRFC) sont des initiatives positives.

Les membres des familles des militaires ont également soulevé d’importants problèmes à la Garnison Saint-Jean. Ils ont informé les enquêteurs de l’Ombudsman que le programme de soutien du personnel offrait des services limités dans les deux langues officielles, y compris les services de base comme le journal de la base, dont le contenu est en grande partie rédigée en français. Le manque de garderies et de soins médicaux en anglais jumelé à l’aide limitée aux conjoints pour la recherche d’emploi nuisent également à une adaptation relativement harmonieuse des familles à un nouvel environnement linguistique.

Prochaines étapes : Mesures qui doivent être prises par les dirigeants

Les enquêteurs de l’Ombudsman ont fait part de la situation aux hauts dirigeants de la BFC Gagetown, et ces derniers ont indiqué qu’ils procéderaient à des changements immédiats, y compris à la nomination d’un champion des langues officielles et à la création d’un site Web sur les langues officielles. Le 20 décembre 2007, les enquêteurs de l’Ombudsman ont également informé le personnel du Chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT) et les personnes qui travaillent pour le Chef du personnel militaire (CMP), notamment le Directeur des langues officielles (DLO), de leurs constatations.

Étant donné la gravité de la situation, nous sollicitons votre engagement à traiter en priorité les problèmes soulevés par le personnel de la BFC Gagetown et de la Garnison Saint-Jean. Plus particulièrement, nous vous demandons de prendre des mesures pour :

  • garantir la sécurité de toutes les personnes qui travaillent et qui suivent de l’instruction dans les établissements de la Défense (particulièrement en ce qui concerne la communication des allergies alimentaires, le déroulement des exercices d’incendie et les ordres donnés sur les champs de tir);
  • assurer la disponibilité du personnel de soins de santé en nombre suffisant pour fournir des services efficaces aux militaires dans leur langue officielle maternelle;
  • veiller à ce que les mesures appropriées soient prises pour renforcer et appuyer la visibilité du coordonnateur des langues officielles, et ce, aux deux endroits;
  • informer tous les étudiants et membres du personnel de leurs droits linguistiques ainsi que de l’existence des mécanismes en place pour les aider à exercer ces droits;
  • assurer que les temps d’attente pour accéder à l’instruction soient les même pour les étudiants francophones et anglophones;
  • affecter un nombre équitable de membres du personnel bilingues (militaires et civils) au cadre d’instructeurs des cours;
  • assurer des services de traduction adéquats;
  • réitérer l’obligation des hauts dirigeants de favoriser une culture d’inclusion en veillant à ce que la ou les langues des séances d’information, de la correspondance, des ordres et des directives soient dictées par la concentration linguistique de l’auditoire ou du public cible.

Il est important de régler ces problèmes rapidement afin d’assurer le traitement juste des étudiants et la répartition équitable des charges de travail parmi les instructeurs et les autres membres du personnel. L’ensemble des Forces canadiennes pourra également en bénéficier, car la réputation actuelle d’environnement peu accueillant envers les groupes minoritaires attribuée à certains endroits nuit à la cohésion au sein de la famille militaire. C’est pourquoi je vous demande de fournir à notre Bureau, dans un délai de 30 jours, un compte rendu des mesures qui ont été et qui seront prises pour régler ces problèmes très importants.

Tel qu’il a été indiqué plus haut, les enquêteurs de l’Ombudsman retourneront à la BFC Borden pour évaluer les progrès réalisés dans le but de régler les problèmes qui y ont été relevés. De plus, nous continuerons à collaborer avec le commissaire aux langues officielles, qui est actuellement à planifier une vérification de certains établissements d’instruction des Forces canadiennes, laquelle aura lieu au cours des prochains mois.

Comme vous le savez déjà également, M. Côté a témoigné devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes le 20 novembre 2007 relativement au traitement des étudiants francophones à la BFC Borden. M. Côté s’est alors engagé à revenir devant le Comité au début de 2008 pour discuter des progrès observés à la BFC Borden. Les membres du Comité ont également posé des questions à savoir si des conditions similaires existaient à d’autres bases d’instruction des Forces canadiennes. Puisque nous voulons honorer l’engagement pris par l’ancien ombudsman, nous prévoyons présenter au Comité les observations décrites plus haut, qui ont été recueillies à la BFC Gagetown et à la Garnison Saint-Jean ainsi qu’une mise à jour des observations qui auront été relevées à la BFC Borden au terme de notre prochaine visite.

Pour terminer, j’aimerais exprimer ma reconnaissance aux dirigeants et au personnel des deux bases. Les équipes d’enquêteurs ont toutes deux été bien reçues et bien appuyées par les hauts dirigeants et le personnel de la base.

Si vous avez des questions concernant ce dossier, je me ferai un plaisir d’en discuter avec vous.

Veuillez accepter, Général, l’expression de mes salutations distinguées.

 

Mary McFadyen
Ombudsman intérimaire

c.c. :
L’honorable Peter G. MacKay, C.P., c.r., député, ministre de la Défense nationale
M. Robert Fonberg, sous-ministre de la Défense nationale
Major-général W. Semianiw, Chef du personnel militaire

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