L'Ombudsman soulève de sérieuses préoccupations relativement au traitement des recrues francophones à la BFC Borden

Le 8 janvier 2007

Général R.J. Hillier, C.M.M., C.S.M., C.D
Chef d’état-major de la Défense
Quatiers généraux de la Défense nationale
Édifice Mgén George R. Pearkes
101, promenade Colonel By
Ottawa (Ontario)K1A 0K2

 

LANGUES OFFICIELLES – RECRUES DE LA BFC BORDEN

Général Hillier,

Je vous écrit pour vous faire part de certains problèmes qui m’ont été signalés lors de ma récente visite à la BFC Borden, et qui me préoccupent énormément.

Pendant ma visite, j’ai eu l’occasion de rencontrer trois groupes de 12 à 20 recrues francophones. La plupart étaient unilingues ou avaient une connaissance extrêmement limitée de la langue anglaise. Avec chacun de ces groupes, la discussion a rapidement dérivé vers les problèmes et les difficultés que ces recrues ont dit éprouver sur le plan linguistique.

J’ai décidé de porter cette affaire à votre attention dès maintenant pour les trois raisons suivantes : (i) c’est un problème urgent; (ii) je n’ai aucune raison de douter de la véracité des déclarations de ces recrues; et (iii) les chefs militaires de la base reconnaissent qu’ils ont de la difficulté à offrir des services en français aux recrues francophones unilingues.

D’une façon générale, les recrues avec qui je me suis entretenu ont exprimé de sérieuses difficultés et des frustrations à l’égard de la chaîne de commandement et des instructeurs, car très souvent, dans leurs relations individuelles et collectives avec les recrues, ceux-ci ne tiennent pas compte de leur situation : la seule langue officielle que ces recrues parlent et comprennent est le français, et non l’anglais.

Voici quelques exemples des problèmes que les recrues m’ont signalés : 

  • Deux des groupes m’ont dit que la plupart des instructions et des commandements qu’ils reçoivent en tant que group sont en anglais seulement.
  • Un groupe m’a signalé qu’il n’est pas rare que les travaux pratiques soient en anglais seulement, ce qui fait que les recrues les comprennent mal ou ne les comprennent pas du tout. (Une recrue a précisé qu’a cause de cela, les francophones obtiennent de mauvaises notes et ont l’air incompétent. Comme il dit : « On fait de notre mieux. Mais, quant on n'a pas compris ce qu'on doit faire, il est difficile de répondre aux attentes.»)  
  • La veille de ma visite, un gestionnaire de carrières s’est exprimé en anglais seulement devant un groupe de recrues unilingues anglophones et unilingues francophones, sauf pour la remarque suivante qu’il a faite à la toute fin de sa présentation : « pour les francophones, c'est la même chose. »      
  • Les recrues qui suivent une formation en entretient des véhicules m’ont signalé qu’ils ont été avisé qu’un manuel qu’ils devront bientôt utiliser est disponible en anglais seulement, et qu’il ne sera pas traduit, apparemment pour des raisons financières. Manifestement, ils n’ont pas reçu l’assurance que leurs besoins seront pris en considération.
  • Je leur ai posé la question suivante : Avez-vous demandé des cours en français lorsque vous avez vu que vous étiez en difficulté? Ils m’ont répondu que généralement, le climat n’était pas très propice à ce genre de requête, surtout lorsqu’il sont en groupes importants.
  • Les recrues m’ont indiqué que certains des instructeurs qui sont responsable d’interagir avec des recrues unilingues francophones ne semblent pas avoir la capacité de s’exprimer en français.
  • Lorsque j’ai demandé aux étudiants s’ils avaient accès à des cours de langue seconde, beaucoup m’ont indiqué qu’ils seraient très intéressés à apprendre l’anglais. La plupart d’entre eux, étant donné qu’ils attendent le début des cours officiels, auraient beaucoup de temps à consacrer à cette entreprise. Mais on leur a dit qu’il est impossible de leur offrir des cours de langue seconde, et qu’il n’y en aura pas.
  • Il y a aussi des problèmes linguistiques qui dépassent le cadre de l’instruction. À la BFC Borden, même les communications de base entre les étudiants et le personnel sur les questions administratives peuvent poser des problèmes, comme la présentation d’une demande de congé.

Il est clair que pour beaucoup des étudiants à qui j’ai parlé, cela crée une atmosphère d’ensemble où ils ne se sentent ni respectés, ni appréciés. Le sentiment d’isolement qu’ils éprouvent, loin de leur famille dans une région majoritairement unilingue anglophone de l’Ontario, ne fait qu’aggraver la situation.

Tel qu’indiqué plus haut, j’ai signalé ces problèmes à certains chefs militaires de la BFC Borden. Ils ont reconnu que la capacité de leur personnel à fonctionner en français était limitée, bien que des efforts aient été déployés pour corriger la situation.

À mon avis, cette situation n’est pas acceptable, surtout quand on considère qu’elle affecte des recrues, c’est-à-dire de nouveaux membres des Forces canadiennes qui souvent manquent d’assurance et sont moins conscients de leurs droits que les autres militaires.

Toutes les recrues des Forces canadiennes devraient être traitées de la même façon. Au grand minimum, les étudiants unilingues devraient avoir l’assurance qu’on leur parlera dans la langue officielle qu’ils comprennent, et il devrait être clairement établi qu’ils ont le droit de s’exprimer, d’être compris et de recevoir une réponse dans leur langue.

Ce ne devrait pas être à eux de comprendre une langue qu’ils connaissent mal, mais plutôt à l’institution de veiller à ce que les recrues aient la possibilité de communiquer dans la langue officielle qu’ils comprennent.

Mon bureau s’est renseigné sur ce dossier de façon informelle. Si mes renseignements sont exacts, le Directeur des langues officielles (DLO) a reçu des plaintes en provenance de la BFC Borden et d’autres écoles des FC. Par exemple, le DLO a constaté qu’à Borden, les étudiants sont parfois encouragés à changer de métier lorsque les cours dont ils ont besoin ne sont pas offerts en français. Le DLO nous a informés qu’il est en train d’examiner ce qui se passe dans les écoles des FC, et qu’il produira un rapport sur les questions linguistiques au cours des deux ou trois prochains mois.

Je suis conscient que le DLO est en train d’examiner la question générale de la disponibilité des cours dans les deux langues officielles dans les écoles des FC, mais je voudrais que vous me donniez l’assurance que les problèmes qui m’ont été signalés seront corrigés en priorité. En particulier, j’aimerais que vous me fassiez part de vos vues sur les questions suivantes :

  • Qu’est-ce qui a été fait ou qu’est-ce qui sera fait pour informer les recrues de leurs droits linguistiques, en particulier à la BFC Borden, et comment les FC veilleront-elles à ce que ces droits soient pleinement respectés?
  • Quelles mesures seront prises (i) pour faire en sorte que les recrues sachent comment agir lorsqu’elles font face aux problèmes linguistiques décrits plus haut; (ii) pour faire en sorte que les recrues puissent soulever ces questions dans un climat d’ouverture et sans crainte de représailles?
  • Quelles mesures seront prises, et quand, pour améliorer la capacité du personnel à travailler dans les deux langues officielles, surtout maintenant que le recrutement s’intensifie et que de plus en plus de recrues seront envoyées à la BFC Borden?
  • Quelles mesures seront prises pour permettre aux recrues qui attendent de suivre des cours (c’est-à-dire qui n’ont entrepris aucun autre type de formation) à la BFC Borden d’améliorer leur aptitude à communiquer dans l’autre langue officielle?
  • À court terme, quelles mesures seront prises pour aider les recrues qui font face actuellement à des problèmes linguistiques à la BFC Borden?
  • Quelles mesures seront prises pour surveiller la situation et évaluer les progrès accomplis?

Je sais que les FC ont pris des engagements à l’égard de ces problèmes dans le document intitulé Modèle de transformation du programme des langues officielles, qui a été publié récemment. Cependant, à mon avis, des mesures plus immédiates sont requises pour régler les problèmes que j’ai décrits plus haut. C’est pourquoi je vous serais reconnaissant de bien vouloir me répondre, à ce sujet, avant le 1er mars 2007.

Je me propose d’afficher la présente lettre sur notre site Web, avec votre réponse lorsque celle-ci nous sera parvenue.

Si vous avez des questions, je serai heureux d’en discuter avec vous.

Je vous prie d’agréer, Général Hillier, mes salutations les plus distinguées.

  

Yves Côté, c.r.
Ombudsman

cc :
L’honorable Gordon O’Connor, Ministre de la Défense nationale
Contre-amiral T.H.W. Pile, Chef – Personnel militaire.

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