Déterminer si un état est attribuable au service pour les militaires en voie d’être libérés pour raisons médicales

Quelque 5 500 militaires sont libérés annuellement des Forces armées canadiennes (FAC). De ce nombre, environ 1 500 le sont pour des raisons médicales. Le processus de libération des FAC est généralement long. Pour les membres des FAC qui sont malades ou blessés, ou qui sont en voie d’être libérés pour des raisons médicales, le processus devient encore plus laborieux en raison des difficultés personnelles auxquelles ils sont confrontés. Après leur libération, les militaires doivent parfois attendre le traitement de leur demande de prestations durant des mois. Il est clair que le fait de recevoir tardivement les prestations ou les services auxquels ils ont droit a une incidence énorme sur la vie des militaires libérés pour des raisons médicales. De plus, cela ne facilite en rien leur transition de la vie militaire à la vie civile.

Le fait de considérer le modèle de prestation de services sous un nouvel angle nous permettrait de réduire les délais bureaucratiques et la frustration que vivent les militaires en voie d’être libérés pour des raisons médicales, qui ne devraient pas être tenus d’attendre les prestations ou les services auxquels ils ont droit.

NCAC – Avantages et admissibilité

La principale source de référence au sujet des avantages offerts aux militaires en voie d’être libérés est la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes (Nouvelle Charte des anciens combattants ou NCAC). Plusieurs services et avantages sont offerts en vertu de la NCAC, et chacun est assujetti à des critères d’admissibilité différents. Certains de ces services et avantages sont offerts aux militaires en voie d’être libérés pour des raisons médicales ou aux militaires qui n’ont pas été libérés pour des raisons médicales, mais qui peuvent démontrer que leur invalidité est liée à une maladie ou à une blessure attribuable au service. Pour la plupart des autres avantages, les demandeurs doivent démontrer trois choses, peu importe la raison de leur libération : (1) qu’ils souffrent d’une maladie ou d’une blessure; (2) que cette maladie ou blessure est attribuable au service; et (3) qu’ils présentent un certain niveau d’invalidité en raison de la maladie ou de la blessure.

L’expression « attribuable au service » sert à indiquer qu’une maladie ou une blessure a été causée directement ou a été aggravée par le service militaire.

Recommandation

Le présent document vise à montrer qu’il est possible de modifier le lourd processus administratif actuel afin d’aider les militaires en voie d’être libérés pour des raisons médicales et de réduire drastiquement les délais nécessaires à l’obtention des avantages. Nous recommandons que les FAC déterminent si la maladie ou la blessure d’un militaire a été causée ou aggravée par le service et que cette décision soit considérée comme une preuve suffisante par ACC pour étayer une demande d’avantages.

Cette recommandation est conforme au cadre législatif en vigueur, mais exige une volonté de remettre en question le statu quo.

LA NCAC et le modèle actuel de prestation de services

La NCAC stipule que le ministre des Anciens Combattants peut, après la présentation d’une demande, payer une somme ou un avantage à un demandeur si ce dernier démontre qu’il souffre d’une blessure ou d’une maladie attribuable au service militaire1. Plus précisément, il incombe au demandeur de fournir la preuve (1) qu’un problème de santé a été diagnostiqué; (2) que celui-ci est attribuable au service; et (3) qu’il a entraîné une invalidité. Pour déterminer si les preuves fournies par le demandeur satisfont aux critères d’admissibilité, Anciens Combattants Canada (ACC), à titre d’administrateur, tient compte principalement des documents probants produits par les FAC2. Ces preuves sont principalement les dossiers médicaux du demandeur, et possiblement d’autres dossiers sur son parcours professionnel.

Il convient donc de se demander pourquoi ACC met en œuvre un long processus administratif pour examiner des dossiers préparés par les FAC, quand ces dernières pourraient déterminer si l’état d’un militaire en voie d’être libéré pour des raisons médicales est attribuable ou non au service militaire. Étant donné que les FAC ont le contrôle sur la carrière du militaire et la responsabilité à l’égard de sa situation médicale tout au long de celle-ci, une telle décision serait considérée comme étant une preuve à l’appui de la demande d’avantages du militaire auprès d’ACC.

Les FAC ont toutefois fait preuve de réticence à prendre cette décision malgré l’importance qu’elle aurait pour les militaires en voie d’être libérés pour des raisons médicales qui demandent ces avantages.

Les FAC peuvent déterminer s’il existe une relation avec le service

Le bon sens suggère que les FAC sont les mieux placées pour savoir si l’état physique ou mental d’un militaire a été causé ou aggravé par son service.

Le médecin général supervise la mise en œuvre de la politique médicale et relative à la prestation de soins de santé pour les Forces armées canadiennes. Le système médical des FAC repose sur deux objectifs : d’une part, offrir des soins médicaux aux militaires, et, d’autre part, surveiller leur aptitude au service militaire et leur capacité à mener à bien les fonctions propres à leur groupe professionnel. Le Groupe des Services de santé des Forces canadiennes (Gp Svc S FC) est responsable de fournir des soins de santé cliniques à tous les membres de la Force régulière et à certains membres de la Force de réserve3.

Les FAC créent et contrôlent le dossier médical complet du militaire, y compris l’état de santé lors du recrutement. L’évaluation de l’aptitude physique et mentale débute lors de l’examen médical préalable à l’enrôlement. Elle se poursuit tout au long de la carrière du militaire et prend fin avec l’examen médical de libération. De plus, les politiques médicales prévoient que la tenue des dossiers médicaux militaires vise notamment à faciliter le traitement des demandes d’indemnité et de pension4.

Outre les dossiers médicaux complets, les FAC préparent et contrôlent également des dossiers de carrière qui peuvent contenir des renseignements importants de nature non médicale pouvant se révéler être essentiels pour comprendre si l’état physique ou mental d’un militaire est lié au service.

Certains dossiers non médicaux peuvent parfois être pertinents pour déterminer si une blessure ou une maladie est liée au service militaire. Il peut s’agir du formulaire CF 98 (Rapport en cas de blessures ou de maladie) qui décrit tout incident ayant causé une blessure. Le formulaire CF 98 sert aussi à signaler toute exposition à des substances chimiques, qu’elle ait entraîné ou non des effets immédiats.

Autrement dit, les FAC possèdent l’information pertinente ainsi que l’expertise et les systèmes nécessaires pour déterminer si l’un de leurs membres a subi une blessure ou souffre d’une maladie qui a été causée ou aggravée par son service militaire.

Un changement de mentalité est nécessaire

Aucune disposition des lois, des règlements et des politiques qui régissent les FAC n’exige ou n’empêche que le médecin général détermine si la maladie ou la blessure d’un militaire en voie d’être libéré a été causée ou aggravée par le service.

La responsabilité d’ACC de déterminer si une demande satisfait aux critères prévus dans la législation n’empêche en rien les FAC de tirer une conclusion factuelle ou médicale qu’elles ont souvent la capacité de formuler. En fait, les FAC sont appelées à déterminer un rapport de cause à effet dans une variété d’autres contextes. Il n’y a donc aucune raison pour qu’elles ne fassent pas de même pour le traitement d’une demande d’avantages présentée par un militaire en voie d’être libéré pour des raisons médicales5.

Dans le cas des militaires encore en service qui présentent une demande à ACC pour obtenir des avantages, le médecin général est réticent à ce que les médecins militaires décident si une blessure ou une maladie a été causée ou aggravée par le service. Le directeur – Politique de santé (D Pol San) a récemment publié un communiqué qui le confirme6. Cette position est justifiée par le fait que la détermination d’un rapport de cause à effet va au-delà de la prestation de soins médicaux et peut poser des enjeux éthiques, en plus de miner la relation entre le médecin et son patient. L’on craint qu’un militaire en service ait avantage à minimiser l’importance d’une blessure ou d’une maladie pour ne pas nuire à sa carrière, alors qu’il aurait tout avantage à exagérer son importance au moment de présenter une demande à ACC. Par ailleurs, un médecin serait sans doute dans une situation de conflit d’intérêts si on lui demandait de décider si la blessure ou la maladie du militaire en service qu’il traite a été causée ou aggravée par le service.

Nous ne voulons pas commenter la position ni la justification du médecin général, car son avis porte sur les militaires qui sont toujours en service.

Cependant, sa justification ne serait pas applicable aux militaires libérés pour des raisons médicales, car, après leur libération, les FAC ne seraient plus responsables de leur offrir des soins de santé. Autrement dit, comme ils sont en voie de libération, il n’y aurait aucun intérêt divergent entre les conséquences professionnelles et une demande d’avantages. Par conséquent, la participation des médecins traitants au processus de détermination du rapport de cause à effet ne remettrait pas en question leur éthique professionnelle.

Commencer par l’évidence

Les FAC devront revoir l’ensemble de leurs processus actuels pour être en mesure d’évaluer si une maladie ou une blessure d’un de leurs membres est attribuable au service.

Il est néanmoins possible d’aller de l’avant immédiatement avec cette recommandation dans le cas des militaires libérés pour des raisons médicales. Le processus de libération pour des raisons médicales exige que le dossier médical et le dossier de carrière du militaire soient examinés par des médecins militaires et des administrateurs de différents niveaux. Ceux-ci passent en revue à peu près les mêmes documents qu’ACC utilise normalement pour prendre une décision relativement à une demande. Ces médecins n’auront pas tous offert des soins médicaux à ce militaire, et aucun ne le fera à l’avenir.

Le D Pol San est tenu de se pencher sur les dossiers médicaux de tous les membres des FAC qui pourraient être libérés pour des raisons médicales. Il possède l’expertise médicale, il a accès aux dossiers médicaux et il a la capacité de formuler un avis à l’intention de l’autorité responsable des libérations7. Il est donc logique que le D Pol San soit responsable de déterminer, chaque fois que possible, si l’état d’un militaire est attribuable au service.

Conclusion

Toute recommandation qui remet en question le statu quo sera probablement accueillie avec une certaine résistance par les défenseurs du modèle de prestation de services ou des processus administratifs actuels. Cependant, le modèle actuel ne fonctionne plus, comme en font foi les nombreux reportages dans les médias et les statistiques embarrassantes sur la prestation des services. Ce modèle est aussi injuste pour les membres des FAC en voie d’être libérés.

Les militaires et les anciens combattants sont excédés par le fardeau administratif, le chevauchement des efforts, le manque de clarté, le fait qu’ils sont responsables de recueillir auprès des FAC les preuves requises par ACC afin de déterminer leur admissibilité aux avantages demandés, ainsi que les délais qui en découlent pour les recevoir. D’un point de vue pratique, cela a des conséquences réelles très graves sur la vie des militaires en voie d’être libérés pour des raisons médicales.

Nous recommandons vivement aux FAC de prendre systématiquement une décision quant à savoir si l’état (maladie ou blessure) des militaires en voie d’être libérés a été causé ou aggravé par le service.

Cela aiderait grandement les membres des FAC en voie d’être libérés pour des raisons médicales à démontrer leur admissibilité aux avantages administrés par ACC.

Notes de bas de page

  1. Article 45, NCAC.
  2. ACC, Dossiers médicaux pour les demandes de prestations d’invalidité – Fiche d’information. Document accessible en ligne à l’adresse : http://www.veterans.gc.ca/fra/services/after-injury/prestations-invalidite/dossier-medical.   
  3. Chapitre 34 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC).
  4. Instruction 5020-25 du Groupe des Services de santé des Forces canadiennes, Utilisation des renseignements personnels sur la santé. Document accessible dans l’intranet de la Défense à l’adresse : http://cmp-cpm.mil.ca/fr/sante/politiques-direction/politiques/5020-25.page
  5. Certains avantages gérés par les Forces armées canadiennes sont offerts seulement aux militaires dont l’état pathologique est attribuable au service. Par exemple, en vertu du paragraphe 34.07 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, les réservistes qui ont besoin de soins médicaux pour des raisons attribuables au service militaire ont droit à des soins fournis par les Forces armées canadiennes.
  6. Le communiqué est accessible dans l’intranet de la Défense à l’adresse : http://cmp-cpm.mil.ca/en/health/policies-direction/communiques/dmedpol-2015-004 
  7. DOAD 5019-2.
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